RCI Journal de 13h

Nicolas Lambert, l'Invité de Myrtha Paller

Myrtha Paller “La France Empire. Un secret de famille national”, c'est un lourd secret que vous abordez ! On dépasse le cadre intime de la famille.

Nicolas Lambert Oui, et en même temps, on le porte en nous. Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas dites dans notre histoire nationale. et du coup qui ne sont pas racontées dans les cours d'histoire, mais qui continuent à être transmises dans l'intime, dans la famille. Et par exemple, le racisme. Le racisme a été pratiquement une matière enseignée à l'école en France. C'est très tôt qu'on apprenait que les “nègres”, ce n'est pas des gens. Les “bougnoules”, ce n'est pas des gens. Les “niacoués”, ce n'est pas des gens. Les “bonnes femmes”, ce n'étaient pas des gens non plus, d'une façon générale. Et petit à petit, les choses ont changé. On a pu nommer, par exemple, à un moment donné, on a dit, si, finalement, les “bonnes femmes”, en fait, c'est des gens, et il faut en prendre soin autant que des autres gens, c'est-à-dire des messieurs, des mâles. Et par contre, une fois qu'on a dit qu'il y a eu des tas de ce qu'on a appelé des “décolonisations” et qu'il y a eu plein de changements dans ces anciennes possessions d'outre-mer de la France, de la France européenne, eh bien, on a oublié de dire : “ ah mais finalement, vous savez, les nègres, c'était pas des nègres, en fait, c'était des gens, tiens, finalement, les bougnoules, c'était... “ On a oublié de le dire. Et si on a oublié de le dire, si on a oublié de revenir sur cette parole-là au niveau national, au niveau institutionnel, on n'a pas oublié de le dire dans les familles... Et on continue à véhiculer ça, ce qui a été appris pendant des siècles et des siècles chez les Français, de dire “il y a plusieurs espèces de gens. Il y a les gens tout en haut qui sont très bien et il y a des gens en dessous qui sont moins bien”. Et comme on a oublié de le déraconter, aujourd'hui on se retrouve avec ces drôles de niveau de langage qui fait qu'on l’a intégré.

Myrtha Paller On a bien compris que ces questions vous ont poussé à travailler sur l'histoire moins glorieuse de la France et les noms dits de son héritage colonial. Votre spectacle connaît un grand succès depuis un an à Paris. Pour vous, c'était important de venir le présenter en Martinique et en Guadeloupe, deux termes de colonisation où ces questions résonnent sans doute encore plus fort.

Nicolas Lambert C'est très important pour moi, moi vieux-mâle-blanc-d'Europe, de venir dire que les vieux-mâle-blanc-d'Europe ne comprennent rien à cette histoire qui ne leur a pas été racontée. et qui n'est toujours pas raconté. Le spectacle commence par simplement des questionnements de ma fille. Ma fille n'a pas du tout étudié la colonisation de toute sa scolarité, pas plus que moi. Il y a des profs qui font le boulot, il y a des profs qui n'ont pas le temps de faire le boulot, peu importe, ce n'est pas la faute des profs s'il n'y a aucun monument de commémoration de ce qui s'est passé pendant la colonisation dans la France hexagonale? Comment est-ce simplement possible? Comment se fait-il qu'il y a des monuments, par exemple, de la guerre 14-18, partout? Des plaques, commémorances qui s'est passées en 39-45, partout? Comment ça se fait qu'on ne... Même simplement nommer la guerre d'Algérie, on a... Moi, quand j'étais petit, quand j'étais jeune, on n'avait pas le droit de la nommer. C'est des parlementaires qui ont, en 1999, dit qu'à partir de 1999, on pouvait dire que c'était une guerre. On avait le droit. Avant, on n'avait pas le droit. On en est là.

Myrtha Paller

Un timing choisi en ce mois de mai pour présenter votre spectacle aux Antilles?

Nicolas Lambert

Oui. J'ai la chance, j'ai l'honneur d'être programmé en plus dans la salle Franz Fanon de Fort de France. Et je vous avoue que, oui, je ne pouvais pas rêver mieux pour moi. Chacun sa légion d'honneur !

Myrtha Paller

Donc vous mêlez dans ce spectacle des archives, des récits familiaux, des documents officiels. Pourquoi ce choix de théâtre documentaire pour raconter le fait colonial?

Nicolas Lambert

Je me suis permis de remettre du documentaire au théâtre il y a une vingtaine d'années. ça ne se faisait plus depuis vraiment très longtemps. J'ai découvert que le dernier spectacle documentaire en France, c'était dans les années 60 “L’instruction” avec un de mes maîtres dans un rôle très particulier, c'était Pierre Dac, qui jouait le rôle du procureur dans une pièce très sérieuse qui voyait un ancien nazi devant un tribunal juste après-guerre. C'est une pièce de théâtre documentaire. Et l'idée de refaire du documentaire en théâtre avait été un peu abandonnée en France pendant quelques décennies. Moi, il se trouve que je viens aussi de la radio et que j'ai pratiqué le documentaire radiophonique. Mais il me semble qu'il y a quelque chose de bien, et puis de formidable. Vous savez, moi, je peux venir faire mon spectacle dans des lycées, devant des jeunes gens, ou dans des universités, ou dans des bibliothèques, ou dans des maisons, ou dans des granges, ou à l'extérieur, sur des esplanades. Eh bien voilà, on peut aller n'importe où avec le spectacle vivant, c'est pas mal.

Myrtha Paller

Donc, on doit le rappeler, vous êtes seul sur scène, Vous incarnez plusieurs personnages. À quoi le public devra s'attendre ce soir?

Nicolas Lambert

Le public de Fort-de-France ne va pas découvrir grand-chose, je pense... J’espère avoir le plaisir de proposer un art du conte, de raconter. Après, je fais des choses rigolotes quand même. J'incarne un peu plus d'une trentaine de personnages... On passe un bon moment. Mais je pense pas qu'il y aura le même étonnement que de la part du public blanc qui ne sait pas, parce que cette histoire-là ne lui a pas été racontée. Si je vous parle ici de colonisation et de ce qu'on a fait à des corps, à des gens, je vais pas vous surprendre, je ne vais surprendre personne. Ça se raconte ici... Encore une fois, je vais jouer dans la salle Franz Fanon. Comme il nous manque des salles Franz Fanon dans l'Hexagone, pour raconter simplement l'histoire des Français.

Myrtha Paller

Donc, la France, Empire E-M-P-I-R-E, on pourrait l'écrire autrement, selon vous?

Nicolas Lambert

Ah, oui… Oui, c'est vrai qu'on peut l'entendre autrement. Mais que la France ait été un empire fait partie de son histoire. C'est ce qui n'est pas raconté. Et là, je suis dans ce qui reste de cet empire. C'est quand même un bon cinquième de cet ancien empire. Ça fait quand même pas mal. Je ne suis pas sûr que “l'empire” soit à utiliser au passé, finalement.

Myrtha Paller Très bien, merci beaucoup à vous Nicolas Lambert, comédien qu'on retrouvera ce soir sur la scène France Fanon à Latrium. Vous incarnez, je le rappelle, plusieurs personnages dans votre pièce La France Empire. Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.