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Nicolas Lambert face à l'actu, l'Invité Café de Grégory Gabour

Grégory Gabour Comédien et auteur de La France Empire, un secret de famille nationale, représentation ce soir à 19h30 à Tropique Atrium, à Fort-de-France. Un seul sur scène qui évoque le rapport de la France à ses possessions outre-mer. Vous dites que la France veut se débarrasser de son histoire. En quel sens ?

Nicolas Lambert Qu'elle ne l'enseigne pas, de fait. C'est-à-dire que moi, je ne l'ai pas apprise, enfant. Et ce qui m'a contrarié, c'est que ma fille non plus. Dans mes années 60-70, on ne parlait pas de ça. Ça évoquait le souvenir de cette génération qui est partie faire son service militaire pour la guerre de démantèlement de l'Empire en Algérie. Et bon, on n'en parlait pas. Qu'aujourd'hui, dans les années 2010-2020, on continue à oublier de raconter cette histoire-là, eh bien, ça me contrarie un petit peu.

Grégory Gabour Ce serait volontaire, la France aurait honte de son passé?

Nicolas Lambert Je ne sais pas. Je pose juste ce constat-là et je le raconte. Je ne sais pas répondre à cette question-là. Je pense qu'effectivement, il n'y a pas de quoi être fier. Ça, c'est clair. Mais la honte n'a pas empêché, par exemple, il y a déjà 30 ans, tout rond, je crois bien, le président Jacques Chirac, de dire « Bon, il s'est passé quand même quelque chose sous Vichy qui est bien embêtant. » qui sont allés rafler des gens, qu'on n'appelait pas des gens, qu'on appelait des juifs, ou des juives, des enfants, des vieillards, et qu'on a parqué. Il a fait ce discours-là devant un des endroits mythiques de cette horreur, devant le Veldiv. Et ouais, il y avait de quoi avoir honte. Mais il y avait aussi quelque chose de l'ordre de... Une fois qu'on a lu cette page-là d'histoire, on peut la tourner et passer à autre chose.

Grégory Gabour Cette pièce est donc une pièce politique?

Nicolas Lambert Si ça parle de politique, bien sûr. Après, ce que je souhaite simplement, c'est qu'on raconte l'Histoire dans les livres d'histoire. C'est pas foufou comme ambition politique. Et en plus, j'ai vu qu'il y avait tagué un peu partout sur les bâtiments ici, un truc marqué liberté, égalité, fraternité. Mais dans mon patelin aussi, c'est marqué. Soit on considère que ça, c'est vraiment quelque chose de politique, qui est presque tendancieux. Soit on considère que c'est la base, et dans ce cas, on doit raconter l'histoire de toutes ces populations qui n'ont pas eu de liberté, qui n'ont pas eu d'égalité, qui n'ont pas eu de fraternité, et qu'on considérait comme des sous-genres, des sous-français. Et cette sous-France dans laquelle ils vivaient me semble importante à prendre en considération si on ne veut pas souffrir aujourd'hui des conséquences.

Grégory Gabour Vous dites que la France est malade. À quel point?

Nicolas Lambert Je pense que nous souffrons aujourd'hui de ces manques, comme dans n'importe quel secret de famille. Les descendants d'un porteur de secret de famille, souvent voir apparaître des stigmates très étonnants, parce que ça passe, en réalité. L'information, elle passe. Effectivement, on n'enseigne plus aux gens que la population racisée, c'était des “nègres”, ou des “bougnoules”, ou des “niacoués”. Ce n'étaient pas des gens, jusqu'à ce que la France soit défait militairement de plein de pays, comme l'Algérie, comme l'Indochine, comme le Cameroun, plein plein de pays. Et le fait de ne pas s'être mis après dans la position de dire, comme l'a fait M. Jacques Chirac : “bon ben finalement, finalement les juifs, c'était des gens. Et on ne les a pas considérés comme des gens. Donc bon, ok, là on a merdé”. C'est juste reconnaître ce qui s'est passé pour pouvoir passer à autre chose.

Grégory Gabour Cette pièce est jouée le lendemain des commémorations de l'abolition de l'esclavage. On en parlait il y a seulement quelques minutes. C'est un hasard ou c'est voulu?

Nicolas Lambert C'est souhaité, bien sûr, et en plus j'ai l'honneur de jouer dans la salle Franz Fanon, c'est difficile de faire plus symbolique. Je ne sais plus combien il y a d'heures aujourd'hui au collège d'enseigner en histoire. Mais si on considère que c'est une matière importante et que c'est important de transmettre la mémoire et de raconter ce qui s'est passé… Alors, si on ne fait pas sur cette chose qui nous unit et qui est à ce point essentiel, d'une part, à la richesse de notre pays, puisque notre pays s'est considérablement enrichi avec ses colonies et avec l'esclavage. Si on ne considère pas que l'histoire de notre pays est à raconter dans les cours d'histoire, il y a quelque chose qui ne me va pas bien.

Grégory Gabour J'ai vu, Nicolas Lambert, que la pièce est interdite au moins de 16 ans.

Nicolas Lambert Elle n'est pas interdite, non. Juste, ce n'est pas une pièce pour enfants parce qu'à un moment, on parle des techniques militaires qui ont été appliquées pour soumettre les populations qui s'insurgeaient contre le pouvoir français… Et c'est pas facile à entendre.