Avant-Scène
Irrégulomadaire culturel - supplément culturel d’initiative communiste - PRCF
14 juillet 2024 - N° 3
Nous on préfère le Off et surtout “La France, Empire” de et avec Nicolas Lambert
Indicible, innommable, impensable. Trois étapes parcourues, selon la psychanalyse, par le non-dit familial au fil des générations, n installant sur le divan analytique une Marianne qui ne peut décemment plus s'incarner dans un stéreotype de féminité fait de douceur maternante et d'empathie du fait des crimes coloniaux commis en son nom et - pire encore peut-être - de ses valeurs, Nicolas Lambert entreprend d'explorer les multiple facettes du non-dit à l'échelle d'une Nation.
« La France, Empire », c'est d'abord, raconté par l'histoire familiale et ses « archives » dénichées dans le grenier par le petit Nicolas, un bilan des évolutions de l'imaginaire colonial. De l'« épopée » largement expurgée de ses turpitudes mortifères dont le récit national abreuva les petits français du début du xx' siècle à l'Empire sans conquêtes enseigné à ses propres grands-parents dans l'entre-deux-guerres, puis à la décolonisation « évènementielle » (le droit français n'autorisa à parler de guerre d'Algérie qu'en 1999 !) euphémisée par la presse dominante d'après-guerre, pour finir aujourd'hui avec les aspirations réactionnaires à la positivation de l'action coloniale, toutes facettes de l'histoire récente de notre pays passées au peigne fin, et volontiers facétieux, d'une analyse collective autant qu'introspective.
Mais c'est aussi la constatation d'une semi-amnésie collective. Ce passé peu reluisant et pas si connu que cela (parce qu'il est « bien connu » ?) est ainsi salutairement parcouru par l'auteur-comédien, d'autant que sa connaissance du sujet parait encyclopédique : vous avez déjà entendu parler des tirailleurs de Thiaroye ? Du quartier de Bousbir à Casablanca? La guerre du Cameroun, c'était quand ? Mayotte, c'est quoi réellement ?
Et n'allez pas croire que tout ça c'est de l'histoire ancienne: Nicolas Lambert vous sort un rouleau long comme ça, du genre déclaration royale de dessin animé; ça, c'est un tableau des OPEX (Opérations extérieures) depuis les décolonisations... Dans ces conditions, c'est presque trop facile de commencer la pièce en ironisant sur la tarte-a-la-crème de l'idéologie dominante qui veut que la France soit en paix depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Non en fait, il n'est jamais inutile de souligner la grossièreté de l'idéologie dominante ; sourcilleux, on regrette un peu que l'Union Européenne ne pointe pas le bout de son nez dans le propos, elle dont la paix sur le continent est souvent la principale qualité supposée (alors qu'elle n'est qu'une continuation collective des impérialismes européens déclinants).
Artistiquement, une performance très maitrisée, servie par une galeries de personnages historiques rudement bien imités, d'autant qu ils se succédent au rythme effréné d'un montage cinématographique...
Et si la survivance dans nos espaces publics des toponymes coloniaux (ex : lycée Faidherbe, statue de Bugeaud, rue Lyautey, station Gallieni) sert de pivot à la brillante construction de la pièce, il ne s'agit certainement pas d'une simple astuce formelle. En vérité, c'est qu'un tel imaginaire, malgré ses pudeurs et son évolution, laisse des traces tenaces : une certaine subjectivité... On ajoutera pour notre part que notre scène politique actuelle n'est pas pour donner tort à cette mise à jour d'un certain inconscient collectif; que l'on pense à la xénophobie outrancière qui se décomplexe à vue d'œil à droite, mais aussi au souverain mépris avec lequel trop souvent la gauche considère les expériences d'émancipation des anciens pays colonisés - mépris asséné du haut d'un bilan historique récent qui devrait plutôt incliner à l'humilité, soit dit en passant. Bref, les subjectivités ont la peau dure...