Le Canard Enchaîné


C’est plus que troublant, drôle, dessillant : c’est renversant.

10 avril 2024
par Jean-Luc Porquet

Cela fait plus de vingt ans que l’acteur-auteur-metteur en scène Nicolas Lambert travaille à la façon d’un journaliste d’investigation.

Il commence par mener de très minutieuses enquêtes. Puis il écrit, met en scène et joue des pièces qui braquent les projecteurs sur les zones d’ombre de la France contemporaine. Après le pétrole, le nucléaire, l’armement, voilà qu’il s’intéresse à l’empire colonial tricolore.

C’est plus que troublant, drôle, dessillant : c’est renversant.

D’abord, parce qu’on s’aperçoit tout au long de ces deux heures de spectacle qu’on n’y connaît rien. Tous ces grands noms dont on a baptisé nos rues et nos lycées, Faidherbe, Bugeaud, Gallieni, Lyautey, sait-on de quels horribles massacres de masse ils ont été responsables dans nos belles colonies ?

Explorant notre imaginaire commun, Lambert le montre : si, dès l’enfance, nous avons baigné dans les images de la conquête de l’Ouest américain (« Lucky Luke », etc.) et de la Seconde Guerre mondiale (« La Grande Vadrouille », etc.), sur la conquête coloniale française, pas grand-chose. Ni sur le très sanglant démantèlement de cet empire, exception faite de quelques œuvres comme le courageux film de René Vautier « Avoir 20 ans dans les Aurès » (1972).

À l’école, on apprend que la France est en paix depuis 1945. Faux : « L’après-guerre, c’est trente ans de guerre. » En Syrie, au Liban, en Indochine, en Algérie, à Madagascar, au Maroc, au Cameroun… Au bas mot, 1 million de morts !

Nicolas Lambert raconte tout cela l’air de rien, en partant de sa propre enfance, sur un plateau nu, avec des jeux d’éclairage pour tout habillage.

Jamais lourdement didactique, multipliant les registres et les points de vue, il interprète tour à tour de Gaulle, Sarkozy, Maître Capello, le pilote Max Bardet, le général Lecointre et bien d’autres.

Son diagnostic ? « Nous sommes en présence d’un secret de famille. » Cet indicible, il serait grand temps d’en parler. Il le fait magistralement.