Afrique XXI


La France et son Empire, un secret de famille bien gardé

La lettre hebdomadaire

N°121 - Semaine du 8 au 14 avril 2024
par Rémi Carayol

À voir

Un jour, l’acteur Nicolas Lambert tombe sur un sujet de brevet des collèges. Il est demandé aux élèves de « montrer en quelques lignes que l’armée française est au service des valeurs de la République et de l’Union européenne ». Un bourrage de crâne niveau « expert » qui l’intrigue. Il va donc se renseigner, questionner, et de là, dérouler les « faits de gloire » de l’armée française. Pas ceux que l’on enseigne au collège justement, mais tous ceux que l’ont tait, dans les manuels scolaires comme dans les médias : les guerres d’Algérie (« les événements ») et d’Indochine, la répression au Cameroun et à Madagascar, la « lutte contre le terrorisme au Sahel »…

Mais il va plus loin encore. Au fil d’une pièce de théâtre qui ne laisse aucun répit au spectateur, en dépit d’une mise en scène minimaliste (Lambert est seul, avec sa voix et ses talents d’imitateur), il dévoile les non-dits de la colonisation et de la décolonisation et explore les bas-fonds de l’Empire d’hier (l’Algérie, l’Indochine, l’Afrique subsaharienne) et d’aujourd’hui (l’outremer, Mayotte notamment). Tour à tour, il convoque Charles de Gaulle, Pierre Messmer, Bourvil, Maître Capelo, ses grands-parents picards, son professeur de français, un musicien sénégalais, Astérix, Valéry Giscard d’Estaing, François Fillon, Nicolas Sarkozy et son fameux discours de Dakar (« l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire »)...

Fidèle au théâtre documentaire dont il se revendique, celui qui a déjà abordé sur les planches des sujets majeurs tels que le pétrole (Elf, la pompe Afrique, 2004), le nucléaire (Avenir radieux, une fission française, 2011) et l’armement (Le Maniement des larmes, 2015), poursuit ainsi une introspection très personnelle des démons français, en questionnant l’inconscient collectif de la France, son incapacité à reconnaître ses crimes passés mais aussi à repenser le présent. Sa pièce de deux heures, captivante, se clôt par un chapitre sur Mayotte, un de ces confettis d’Empire que l’on appelle désormais « outremer ».